Il était une fois un noble sans peur ; il eut envie de voyager, prit avec lui son valet, monta en voiture et les voilà partis. Ils roulèrent, roulèrent, parvinrent à la tombée de la nuit dans un village où ils s’arrêtèrent. Pour gîte, ils choisirent une isba quelque peu à l’écart. Ils entrent, ne voient personne, si ce n’est un mort allongé sur la table, avec, auprès de lui, une collation servie et un carafon de vodka. Le noble sans peur s’assit à la table avec son valet ; ils mangèrent et burent de grand appétit, puis s’allongèrent sur le banc. À minuit pile, voilà le mort qui remue et se met à branler du chef. Il faut dire que ce mort était un sorcier ; cela faisait déjà longtemps qu’il hantait cette isba et en avait chassé les habitants. Chaque matin, quelqu’un de la famille venait lui apporter des provisions. À minuit juste, le sorcier se levait, avalait son repas et, lorsque les coqs chantaient, il se recouchait et se figeait.
« Qu’as-tu à branler du chef, l’ami ? l’entreprit le noble sans peur. As-tu seulement bien dormi ? » Sans répondre, le sorcier, se soulève et fouille dans les plats. « Dis donc, pays, tu as l’air d’avoir envie de manger ? continua le noble sans peur. Ma foi, l’ami, fais excuse, nous avons tout liquidé ; nous ne savions pas que tu allais te réveiller, sinon, nous t’en aurions laissé ! » Le sorcier se précipita sur le noble qui riposta, et tous deux échangèrent force horions ; le noble, qui était vigoureux, réussit à le plaquer contre la porte dont le battant céda, et le sorcier tomba à la renverse dans le vestibule. Le noble en profita pour fermer la porte au loquet, puis se recoucha. Le sorcier, de fureur, se mit à ronger la porte avec ses dents ; cela l’occupa fort longtemps et il allait arriver à se frayer un passage quand les coqs chantèrent : aussitôt il tomba à terre et se pétrifia en mort qu’il était. « Prenons-le avec nous, dit le noble à son valet, à trois, il y aura plus de joie ! » …