Catherine I
Catherine I : « Donc, Pierre I (comme du reste, son grand-père officiel le tsar Mikhaïl) préfère les soubrettes aux princesses1, il préfère aussi les étrangères aux Russes. Il va trouver pleine satisfaction avec la future Catherine I (Anissimov, 1997 ; Vassiliéva, 2000 ; Tchijova, 2002). Celle-ci, de son vrai nom Marfa Skavronskaïa, était-elle suédoise, était-elle lettone, les versions à ce sujet divergent. Toujours est-il que, d’origine paysanne et orpheline, on la trouve à l’âge de douze ans employée comme domestique chez un certain pasteur Glück. A seize dix-huit ans, c’est une belle fille appétissante et accommodante, dont les charmes ne passent pas inaperçus des jeunes gars de l’endroit. En 1708, elle épouse un soldat suédois et son destin aurait pu être ainsi scellé sans les vicissitudes de la guerre. C’est en effet la guerre avec la Russie. La ville de Marienbourg où vit le jeune couple est prise d’assaut par les troupes russes qui font prisonniers tous les habitants, dont Marfa. Notre héroïne, en tant que prisonnière de guerre, est vendue par un soldat russe à son capitaine, lequel la revend à Chérémétiev, maréchal de l’armée russe. C’est un vieil homme quelque peu lubrique à qui Marfa doit complaire. Menchikov, le favori de Pierre I, l’aperçoit là et la souffle au vieillard. À son tour, Pierre la rencontre chez Menchikov et s’en empare.
L’amitié de Menchikov et de Catherine I, tous deux aventuriers de basse extraction (Menchikov a commencé sa carrière en vendant des petits pains), tous deux promis par le tsar aux plus hautes destinées, restera indéfectible, moins par leur ancienne liaison que par la communauté de leurs destins et intérêts.
Le secret de l’incroyable ascension de Marfa est à rechercher dans un remarquable équilibre psychique qui lui permit d’accepter avec la même bonne humeur (ou la même insouciance ?) les différents sorts que lui réservait la roue de la Fortune, passant avec le même flegme, le même bonheur, de la vie d’une orpheline devenue domestique à celle d’une femme de soldat, du sort de prisonnière aux amours soldatesques imposées à la carrière de maîtresse, d’abord un peu méprisée, puis de plus en plus indispensable d’un tsar qui fit d’elle, en fin de compte, son épouse. Au contraire d’Anna Mons qui dut son échec à sa froideur, Marfa révéla une capacité d’adaptation à toutes les situations qui confond. La chance fut son lot, mais elle sut la saisir. Son caractère accommodant, voire complaisant, ses charmes plus que sa beauté, lui permirent de vaincre un tsar soupçonneux et capable de cruauté, mais aussi faible dans ses attachements aux femmes. Mais Marfa, devenue Catherine par son baptême dans la foi orthodoxe, avait d’autres qualités qui lui attachèrent un tsar soldat, un colosse toujours en campagne, le vainqueur de Poltava. Au contraire des princesses élevées dans la soie, le luxe et les châteaux, ce que Pierre ne pouvait souffrir, elle était capable de suivre celui-ci au cours de ses campagnes, de partir à cheval, enceinte ou non, dès qu’il l’appelait sur le front, de dormir à même le sol, recouverte d’un simple manteau de soldat, de se plier avec bonne humeur, et parfois avec volupté, à toutes ses exigences, amoureuses ou autres, en d’autres termes, de vivre la vie précaire d’une "soldate"2. Leur vie amoureuse fut un roman et Pierre qui ne pouvait plus se passer d’elle, décida de l’épouser officiellement, en dépit de la présence d’une épouse toujours vivante. Ceci n’était pas impossible, l’indépendance de l’Église orthodoxe n’étant pas assurée. En février 1712, donc, le mariage eut lieu, au grand scandale des milieux aristocratiques, cléricaux et conservateurs. Les deux filles restantes du couple, Anna et Elizavéta, âgées de quatre et deux ans, étaient ainsi légitimées.
Une fois mariée et revêtue d’habits princiers, la basse extraction de Catherine refaisait surface, elle avait le teint hâlé (ce qui était du plus mauvais genre à l’époque), l’expression vulgaire, elle était mal fagotée, sur sa robe, pas toujours nette, brinqueballaient au moindre mouvement des rangées de médailles et de décorations. Bref, princesses et marquises faisaient d’autant plus facilement la moue sur son manque de goût qu’elles éprouvaient une jalousie bien compréhensible. Catherine n’en avait pas moins assez de tact naturel pour ne jamais oublier sa condition modeste, elle restait très effacée et un peu à l’écart, vivant dans l’ombre de Pierre et dans la dévotion à son égard. Ceci lui permit de ne pas se faire trop d’ennemi(e)s.