De la paysanne à la tsarine

La Russie traditionnelle côté femmes

Nadejda Dourova

Nadejda Dourova : « Son destin est exceptionnel parce que, fille du gouverneur de la petite ville de Sarapoul (sur la Kama), elle s’engage dans l’armée et fait toutes les campagnes contre Napoléon. Elle laisse des Mémoires (Mordovtsev, 1993 ; Dourova, 1988). Nadejda Dourova est née en 1783. Son père, Dourov, était officier de hussards. De petite noblesse, il ne possédait qu’un seul village dans la province de Viatka. Sa mère, une beauté dans sa jeunesse, appartenait, elle, à l’aristocratie terrienne d’Ukraine. Elle avait épousé son beau hussard désargenté contre la volonté de son propre père, lequel voyait dans ce mariage une mésalliance. Elle s’était enfuie pour rejoindre son futur mari et avait du en subir les conséquences, vivant la rude vie des femmes d’officiers et suivant son mari dans tous ses déplacements. Tous ses espoirs de compensation, elle les avait projetés sur le fils qui devait lui naître. Malheureusement, ce fut une fille, Nadejda en personne. La mésentente entre mère et fille se manifesta d’emblée lorsque la mère, exaspérée par les cris de sa fille âgée de quatre mois, la jeta par la fenêtre de la calèche qui les transportait. Le bébé fut heureusement rattrapé par les hussards qui entouraient la calèche. Dès lors, le père confia sa fille à un des hussards qui l’accompagnaient. « Mon éducateur Astakhov, écrit Nadejda, me tenait dans ses bras, m’emmenait à l’écurie, me mettait en selle, me laissait jouer avec son pistolet, brandissait devant moi son sabre ». Aussi, quand, à l’âge de six ans, sa mère voulut la reprendre, elle s’aperçut, à son grand effroi, que cette éducation « à la hussarde » avait déjà porté ses fruits. « Ma mère n’eut plus une minute de répit, toute la journée je la fâchais par mes manières soldatesques ; je connaissais par cœur ordres et commandements militaires, j’aimais passionnément les chevaux, et quand ma mère voulut m’installer à tresser une cordelette, je lui demandai en pleurant de me donner un pistolet pour le faire, comme je disais, ‘ claquer ‘ ». En grandissant, les choses ne s’arrangent pas et la mère est ulcérée. Elle va jusqu’à dire un jour au père de Nadejda qu’elle préférerait voir sa fille morte. Elle a d’autres enfants, ce qui la console et oblige le père à prendre sa retraite et à s’installer comme gouverneur de la petite ville de Sarapoul. Les rapports entre mère et fille ne s’améliorent pas. La mère enferme sa fille en l’obligeant à faire de la broderie. Vers douze ans la jeune fille profite des moments où sa mère a le dos tourné pour fuir dans le fond du jardin. Elle cache là, dans un coin sombre derrière un buisson, son « arsenal : un tas de flèches, un arc, un sabre, un fusil cassé. Peu de temps après, son père achète un magnifique cheval tcherkesse dont il lui fait cadeau. Elle le monte le matin aux aurores quand sa mère dort. Elle a bientôt pris la ferme résolution de partir de la maison et de s’engager dans l’armée, car, suivant ses dires, ce qui l’ennuyait le plus au monde, c’était les travaux de couture, et la personne qu’elle redoutait le plus, c’était sa mère »