La Tradition orale russe

Il fallait s’efforcer de mettre en avant l’apport, pas toujours d’accès facile sur le plan de la langue mais divers et foisonnant, de la tradition orale russe.

Les incantations

Les incantations, ces formules magiques destinées à agir sur la nature et sur l’être humain, nous font pénétrer dans le monde des charmes et des maléfices, mieux, nous plongent au cœur même de ce royaume. Disons d’abord quelques mots de la sorcellerie en Russie.

Le monde à la fois enchanté et pervers de la magie, avec ses cohortes de sorcières et de magiciens, de jeteuses de sorts et d’envoûteurs, est connu de toute l’Europe, du Moyen Age au XVIII è siècle, et même plus tard. La sorcellerie en Russie a, en gros, un destin semblable o celui qui a été le sien en Europe occidentale, à cette différence notable près : c’est que la chasse aux sorcières y a été moins importante. On y a eu affaire, en effet, plus à des cas isolés de persécution qu’à des répressions massives ou à des procès défrayant les chroniques… L’Église orthodoxe semble avoir été, sur ce point, beaucoup plus tolérante que l’Église catholique. Et c’est peut-être la raison pour laquelle les formules incantatoires russes, dans des formes à la fois exubérantes de fantaisie et très figées de structure, révèlent beaucoup plus une religion de la Nature que de quelconques cultes sataniques.

Incantation de bonne chasse :

« Je me lèverai, moi serviteur de Dieu, en me signant, je me laverai avec de l’eau pure, je m’essuierai avec une serviette brodée, je partirai en prenant congé de mon père, en demandant la bénédiction de ma mère. J’irai de l’isba à la porte, de la porte au vestibule, du vestibule au perron, et je gagnerai la vaste plaine ; j’irai vers l’orient, vers les sombres forêts, sous l’aube rayonnante, sous le soleil resplendissant, sous la lune claire, sous les étoiles scintillantes ! Je me vêtirai de l’aube rayonnante, je me ceindrai du soleil resplendissant, je me parsèmerai des étoiles innombrables ; et j’irai, moi serviteur de Dieu, avec mon piège de fer vers les sombres forêts, du côté de l’orient, dans la vaste plaine ; dans cette plaine repose une blanche pierre brûlante, je me mettrai, moi serviteur untel, face à l’orient, dos à l’occident, et je m’inclinerai aux quatre coins. Venez-moi en aide, moi serviteur untel, quand je vais à la chasse, pour attraper lièvres blancs et gris, martres et renards, pour piéger loups gris et lynx, pour qu’ils ne s’écartent pas de leurs traces et ne retournent pas en arrière … Dans la mer bleue, il est une pierre bleue, dans la mer noire, il est une pierre noire, dans la mer blanche, il est une pierre blanche. Telle est ma conjuration » (Sakharov, n° 61)